Libye: un retournement de situation militaire au cœur de la guerre civile

Retour sur la situation toujours très instable de la Libye, un pays déchiré par une guerre civile dévastatrice entre le GNA, le Gouvernement d’Union Nationale du président Fayez el-Sarraj, et l’Armée Nationale Libyenne (ANL) du maréchal Haftar. Ce dernier cherche à s’emparer de la ville de Tripoli depuis 13 mois. Il avait jusqu’à récemment l’avantage des armes, mais le vent semble tourner en sa défaveur depuis quelques semaines.

Tripoli après des bombardements par les forces du maréchal Khalifa Haftar, le 9 mai 2020. AFP/Mahmud Turkia

Comment expliquer ce retournement de situation militaire ? Essentiellement par l’entrée en lice fracassante depuis janvier d’un nouvel acteur dans cette guerre civile instrumentalisée par certaines puissances étrangères.

Cet acteur, c’est la Turquie. Le président Recep Tayyip Erdogan a décidé de prêter main forte à son homologue libyen Fayez el-Sarraj. C’est une aide décisive qui a été dépêchée à Tripoli depuis le mois de janvier. Une aide à la fois en matériel militaire – en drones notamment – et en hommes, des combattants syriens pro-Ankara.

Et les forces du GNA, jusque-là sur la défensive, et qui avaient beaucoup de mal à stopper l’avancée des soldats d’Haftar sur Tripoli, sont en train de desserrer l’étau autour de la capitale libyenne grâce à ces renforts turcs. Ils ont même repris des localités stratégiques dans un rayon de 70 à 150 kilomètres autour de Tripoli.

L’ANL du bouillant maréchal recule, et avec elle les mercenaires russes de la milice paramilitaire privée Wagner, envoyés par Moscou fin 2018 pour soutenir Haftar – bien que la Russie n’ait jamais reconnu officiellement cette aide. Ils ont plié bagages à toute allure le week-end dernier pour aller protéger les villes stratégiques de Jufra et Syrte, encore aux mains de l’ANL, avant sans doute de rentrer en Russie.

Peut-on parler pour autant d’un affrontement à distance entre Moscou et Ankara, qui sont par ailleurs en coopération sur le dossier syrien ? Pas vraiment. Il faudrait plutôt parler d’une sourde compétition où chacun poursuit ses propres intérêts. Le pétrole et le gaz libyens sont en effet des objectifs communs aux deux pays.

Ensuite chacun a ses buts propres : pour les Russes, soutenir Haftar, c’est aussi lutter contre le terrorisme islamiste. C’est d’ailleurs en partie pour cette raison que Haftar est soutenu de manière feutrée par certains pays européens, dont la France.

Pour les Turcs, outre l’accès aux hydrocarbures au large des côtes libyennes, comme le permet désormais un accord signé avec le gouvernement de Tripoli qui s’est accompagné de l’envoi des premiers renforts, l’autre objectif est plus géopolitique : Erdogan rêve de reconstituer l’influence de l’empire ottoman au Proche-Orient et en Méditerranée orientale. Souci de grandeur, volonté aussi de nuire aux intérêts de l’Egypte – les relations entre les deux pays sont exécrables. Et Le Caire, comme les Émirats arabes unis, soutient Haftar.

Voilà donc comment la Libye se retrouve ballotée pour le pire au gré des intérêts divergents de ces grandes puissances.